Pierre Pay-Pay wa Syakassighe, alias P3, s’est imposé comme un candidat sérieux à la présidence. Rencontre exclusive.
À soixante ans, Pierre Pay-Pay, d’abord présenté comme un candidat-surprise à la présidence, est parvenu à s’imposer comme un des rares challengers sérieux face à l’actuel président Joseph Kabila. Mais qu’est-ce qui a bien pu pousser cet ancien mobutiste dans l’arène politique ? Entre deux voyages en provinces, il nous a reçu chez lui, à Mbinza, sur les hauteurs de Kinshasa, pour un entretien exclusif.
“À la base, je ne pensais pas me présenter”, avoue-t-il, se fendant d’un large sourire. Et d’expliquer qu’il avait d’abord œuvré pour préparer la candidature d’Olivier Kamitatu. “Au mois de septembre dernier, nous avions rendez-vous avec le président Sassou du Congo voisin. La veille, Olivier m’a annoncé qu’il préférait se retirer de la course et que c’était à moi de me présenter. J’avoue que je ne m’y attendais pas. Avant de me lancer, je voulais avoir l’assentiment des miens et surtout de mon épouse, j’étais persuadé qu’elle me dissuaderait mais, après 24 heures de réflexion, elle m’a encouragé à me présenter à deux conditions : ne pas rééditer les erreurs du temps de Mobutu, ni celles des dirigeants en place actuellement”.
En moins de dix mois, le candidat Pay-Pay est parvenu à se hisser dans le trio de tête des favoris dans la course présidentielle avec Jospeh Kabila et Jean-Pierre Bemba. Pour expliquer cette percée, P3 met en avant le fait qu’il est le seul non-belligérant crédible pour ce scrutin. Pourtant, il ajoute qu’en 1996, alors que les bruits de bottes s’annonçaient pour faire vaciller de son trône un Mobutu usé, il avait été approché par ceux qui armaient l’AFDL pour prendre la tête de ce mouvement rebelle. “Ils n’avaient pas vraiment confiance en Laurent-Désiré Kabila. Ils préféraient opter pour un diable qu’ils connaissaient que pour un ange dont ils ignoraient tout. Mais je ne me voyais pas à la tête d’une rébellion. Je sais que les gens de l’Est m’en ont beaucoup voulu. Aujourd’hui, les tensions sont retombées. Je sais, surtout depuis mon passage dans le Kivu et mon discours, qu’ils ne s’opposent pas à ma candidature. J’ai toujours été constant et j’ai toujours affirmé que nous pouvions et devions vivre avec tous ceux qui sont installés sur le territoire congolais.
Quand je l’ai dit la première fois, lors du dialogue intercongolais de Sun City, les extrémistes qui étaient dans le giron de Kabila père m’en ont voulu, mais c’est la seule manière d’aller vers la paix et la reconstruction du pays.”
À la veille du premier tour et malgré les milliers de kilomètres parcourus et à parcourir, le jeune sexagénaire veut y croire “plus aujourd’hui qu’hier “. Mais il sait aussi que la tâche qui attend le prochain président sera gigantesque et qu’il ne pourra pas compter sur une majorité au parlement au moment de constituer son éventuel gouvernement. “Je pourrai avoir une centaine de parlementaires. De toute façon, il faudra passer par un gouvernement d’union nationale et ce gouvernement devra être le plus inclusif possible et même avec l’UDPS. Il faudra aussi envoyer un message fort au peuple dans les fameux 100 jours qui suivront le scrutin. Parmi les premiers gestes, il y a l’augmentation de la solde des militaires. C’est faisable. Officiellement, il y a 300.000 hommes dans notre armée, mais on sait que la moitié sont fictifs. Si on supprime ces 150.000 hommes qui ne servent à rien, on pourra augmenter de 30 % la solde de nos vrais militaires. Et on pourra faire de même avec les fonctionnaires. Sans oublier les enseignants : il est inacceptable que ce soit les parents qui subviennent à leurs salaires…”
Le candidat Pay-Pay est serein. Le second tour, il y croit. “Et si, par malheur, je devais arriver en 3e position, je serai alors faiseur de roi”, conclut-il avant de s’envoler pour l’Ituri et la Province orientale.
Hubert Leclercq – La Dernière Heure